Construction et maintien du partenariat

Comment mobiliser un partenaire qui n’est pas sensible ou qui résiste aux enjeux liés au sexe/genre?
Explorer le niveau de sensibilité des partenaires sur l’importance de la prise en compte du sexe/genre pour favoriser une ouverture par rapport à cet enjeu
Il faut d’abord cerner le niveau de sensibilisation préalable au genre des partenaires du projet pour identifier les actions appropriées.
Comment y arriver?
- Documenter les normes sociales et les valeurs du milieu incluant l’histoire de la présence des hommes, femmes, personnes trans et personnes non binaires dans ce milieu. Cela permet de reconstituer l’historique des relations entre les parties prenantes ainsi que les dynamiques sociales dominantes et marginales au sein du groupe. Cela permet ensuite d’orienter les actions selon le contexte du partenariat et le niveau de sensibilisation aux enjeux de genre, en prenant en considération les enjeux de pouvoir et d’inclusion / exclusion au sein du groupe.
- Comprendre les besoins et les intérêts des partenaires dans le but de démontrer comment la prise en compte du sexe/genre peut y répondre ou s’arrimer.
- S’appuyer sur le lien de confiance entre les membres de l’équipe de recherche et les partenaires pour clarifier la portée du projet et ses retombées.
- Positionner l’analyse du sexe/genre par rapport aux besoins identifiés qui ne sont pas spécifiques au genre (par exemple, rendre visibles des enjeux de genre dans une demande en apparence sans enjeux associés à ces dimensions, identifier les zones possibles d’influence de rapports sociaux ou d’inégalités de santé).
- Respecter les sensibilités et la connaissance qu’ont les parties prenantes de leur propre milieu.
- Créer les conditions propices en assurant les ressources nécessaires.
“Les liens de confiance sont à la base d’une collaboration continue qui réussit à aborder des sujets difficiles. La construction des collaborations peut prendre du temps, il faut retourner souvent sur le terrain pour maintenir le lien de confiance avec les communautés [note : cet extrait évoque une communauté éloignée].” (membre de l’équipe GESTE sur un projet de recherche).
Pour aller plus loin
Accompagner les partenaires dans leur prise de conscience de l’importance de considérer le sexe/genre
En fonction du niveau de sensibilité des partenaires, il est possible d’opérationnaliser ces actions/postures en planifiant des rencontres périodiques avec les partenaires impliquant une participation diversifiée, par exemple en santé au travail (employeur, syndicat, personnes employées, etc.) et en santé environnementale (parties prenantes ayant des perspectives variées sur la problématique). Ces rencontres visent à maintenir un lien de confiance et livrer progressivement les éléments pour démontrer le bien-fondé de la prise en compte du sexe/genre.
Exemple de contenu/déroulement de ces rencontres :
- Présenter en continu des résultats qui permettent d’illustrer des similitudes ou différences notamment les différents « niveaux » où se trouve le sexe/genre. Par exemple : montrer des différences entre les sous-groupes étudiés ou à l’intérieur d’un sous-groupe (ex. hommes v. femmes, femmes v. femmes); souligner des différences de sexe/genre dans les relations interpersonnelles ou encore dans les outils utilisés, ou les coutumes; souligner les inégalités de sexe/genre produites par des politiques sociales ou des lois.
- Identifier ce qui pourrait changer dans le milieu, ce qu’on doit garder.
- En santé au travail, profiter de l’étape de l’analyse de la demande pour récolter des éléments alimentant la justification de la prise en compte du sexe/genre.
- Expliciter les éléments à considérer tout au long du processus de la recherche en ce qui concerne l’intégration du sexe/genre (ex. ce qui est attendu dans une démarche ADS+ pour réaliser une analyse différenciée selon le sexe/genre + intersectionnelle. Notamment, il faut expliquer le travail à faire sur les représentations préexistantes que l’on peut avoir concernant les différents sous-groupes et l’importance de rendre visibles certains enjeux qui paraissent anodins parce qu’ils sont invisibles.
- Illustrer l’utilité de la prise en compte du sexe/genre par le biais d’autres recherches (données probantes)
- On peut aussi parler de mobilisation des connaissances dès la construction du partenariat pour rendre concrètes les retombées anticipées de la recherche (voir section Mobilisation des connaissances)
Ce travail de sensibilisation peut faire une différence dans la conduite du projet :
‘’ […] dans le milieu, [les gens] qui sont impliqués sur le projet, c’est que j’ai l’impression d’avoir relativement tous une sensibilité sur les enjeux sexe-genre ou les perspectives théoriques féministes à différents niveaux dans le projet, ben, on peut davantage partager, échanger sur ces dimensions-là, pis on sentira qu’on a nécessairement remis en légitimité ou qu’on va douter […] ‘’
(Vécus d’experts, d’expertes, résultats d’un projet de l’équipe GESTE)
« Si je me mets dans les souliers de quelqu’un qui a déjà de la réticence [à tenir compte du sexe/genre] parce que ça va alourdir le produit final, pis ça va alourdir sa tâche personnelle, il ne faut pas que ça soit gros »
(Vécus d’experts, d’expertes, résultats d’un projet de l’équipe GESTE)
S’adapter à la façon de parler du sexe/genre dans les discussions sur le projet
Il est essentiel de porter attention au choix du langage pour vulgariser et faciliter les échanges/la compréhension de ce qu’est le sexe/genre. Pour cela, il faut s’approprier la terminologie, les usages du langage et les normes en matière de communication utilisés par les partenaires. Cela permet de choisir sur quoi on met l’emphase dans le discours.
La manière de le faire se révèle lors des premières rencontres avec les partenaires.
En dernier recours, si les autres options ne sont pas possibles, une stratégie plus neutre peut être considérée – c’est-à-dire que les questions sexe/genre demeurent centrales à l’étude, mais ne sont pas dominantes dans les échanges avec les partenaires.
Les travaux de l’équipe GESTE identifient des avantages et inconvénients à l’adaptation du langage sexe/genre (voir Laberge et al., 2020).
Pour aller plus loin
Appuyer son argumentaire avec des données probantes ou des travaux scientifiques
Identifier et présenter des résultats ou données qui rendraient le projet légitime aux yeux des sceptiques dans la mesure où :
- des données/études sont disponibles sur une problématique semblable,
- le contexte le requiert et il y a suffisamment d’ouverture vis-à-vis de ces données/études pour ne pas fragiliser la prise en compte du sexe/genre dans le projet
Si aucune étude n’est disponible, on peut :
- montrer comment l’analyse du sexe/genre est positionnée dans la problématique du projet qu’on souhaite amorcer;
- partager, lorsque disponibles, les attentes gouvernementales et dans certaines municipalités par rapport à la question (ex. ADS+ ou ACS+);
- démontrer l’intérêt des bailleurs de fonds pour le sexe/genre
Pour aller plus loin
Équilibrer les rapports de pouvoir entre les partenaires
Dès la première phase du projet, la conception d’activités permettant de mettre en valeur la contribution des partenaires facilite l’appropriation du projet par toutes les parties prenantes. Par exemple, la mise en place d’actions assurant le co-développement de connaissances permet de considérer et niveler l’influence des rapports de pouvoir préexistants.
Concrètement, cela peut se faire en ouvrant un espace de réflexion, voire de débat, pour soutenir la co-construction et l’appropriation du projet, faire évoluer les représentations liées au sexe/genre, ou l’ancrage du projet dans la réalité des parties prenantes.
Il est parfois nécessaire de faire un travail préalable pour déconstruire des dynamiques de pouvoir entre certaines parties prenantes. Un espace de confiance peut permettre d’ouvrir sur des sujets peu discutés à cause de ces rapports de pouvoir.
Différentes activités/approches peuvent être mises en place selon les contextes et les conditions à privilégier.
- Miser sur le pouvoir d’agir des parties prenantes par la formation de groupes de co-construction de la connaissance, un travail de proximité, le partage de la prise de décision, des forums de partenaires, etc.
- Identifier des partenaires stratégiques pouvant agir de manière systémique (influencer, éclairer sur les barrières légales et institutionnelles) et les impliquer dès le début du projet, spécialement pour développer les capacités de groupes plus marginalisés à s’engager dans un dialogue.
- Développer des composantes éducatives à même le projet pour arrimer les compétences de l’ensemble des parties prenantes en termes de collecte et d’analyse des données ainsi qu’en mobilisation des connaissances.
Note : Il demeure important de s’engager dans des démarches de recherche-intervention partenariale qui ne confrontent pas nos valeurs individuelles profondes afin d’éviter de s’exposer à un conflit qui pourrait avoir un impact sur notre propre santé.
Pour aller plus loin
Élargir la diversité des points de vue au sein du partenariat
Mobiliser une multitude d’acteurs et d’actrices permet de diversifier les positions, représentations et de co-construire une compréhension à de multiples niveaux (pas seulement locale). Pour ce faire, il est possible de trouver d’autres partenaires qui sont externes au milieu de travail ou à la communauté du partenariat initial.
Pour aller plus loin :
Assurer la présence de personnes « relais » pour créer la confiance avec les communautés/populations concernées
Il peut arriver que des parties prenantes, notamment des communautés, ne veuillent pas participer au projet. L’aide d’une personne clé ayant une légitimité au sein du groupe peut soutenir la création de liens de confiance. Une action possible consiste à identifier des personnes clés qui pourront être des courroies de transmission au sein des sous-populations concernées (cultural brokers) pour soutenir la création de liens avec l’ensemble des parties prenantes. Il faut veiller à intégrer pleinement les courtiers culturels dans l’équipe afin d’éviter les gestes symboliques (tokenism).
Il peut aussi arriver que des membres de l’équipe de recherche jouent ce rôle de courroie de transmission ou de relayeur au sein des équipes ou partenaires qui n’ont pas l’habitude de collaborer entre eux.
Les membres de la communauté peuvent aussi fournir des informations primordiales sur les temporalités (ex. : l’horaire de travail), l’occupation du territoire (ex. : moyens de transport), les normes sociales, etc. Ainsi, les besoins des partenaires peuvent être mieux compris et accommodés. De plus, pour augmenter les occasions de voir les partenaires, vous pouvez vous assurer de vous rendre à des lieux fréquentés régulièrement par les personnes clés.
Pour aller plus loin
Si les résistances sont atténuées...rendre collective la préoccupation pour le sexe/genre et renforcer le lien de confiance
Il peut arriver que la prise en compte du sexe/genre ait été davantage portée par un ou une membre de l’équipe et, idéalement, il faut faire en sorte que tous et toutes portent cette préoccupation, incluant l’institution ou l’organisation où s’inscrit le projet.
« Ce que je trouve bizarre un peu, c’est que c’est toujours une initiative personnelle plutôt qu’une initiative institutionnelle ou organisationnelle »
(Vécus d’experts, d’expertes, résultats d’un projet de l’équipe GESTE)
Voici des exemples d’actions à adopter selon l’analyse du contexte social du projet.
Si la préoccupation pour le sexe/genre n’est pas nécessairement partagée entre les membres académiques de l’équipe :
- Tenir des rencontres de travail à faire, en aparté/amont avant le démarrage du projet de recherche-intervention partenariale, pour trouver un consensus sur la vision, le processus de recherche, etc.
- Avoir un groupe de travail pour pouvoir discuter des choix à faire. On ne sait pas toujours comment anticiper les réactions des partenaires ; pouvoir en discuter permet de multiplier les partages d’expérience
- Voir aussi: Penzhorn, 2005
Si la préoccupation pour le sexe/genre n’est pas nécessairement partagée entre chercheurs, chercheuses et partenaires :
- Mobiliser une approche féministe participative qui permet de créer de l’espace pour les voix non entendues ou minoritaires
- Bien cadrer la portée du rôle que les chercheurs, chercheuses universitaires souhaitent adopter dans la relation partenariale en cadrant la posture scientifique par rapport à une posture plus militante
- Voir aussi (Muhammad et al., 2015); (Singh et al., 2013); (Guerin et al., 2006)